Take a look out of the box - 2024

Outcomerea vient de lancer son webinaire trimestriel "Take a look out of the box". Nous avons eu le plaisir de recevoir le Pr. Jean-Christophe LUCET pour ce premier évènement, vous retrouverez ci-dessous la vidéo du webinaire : 

Vous trouverez ci-dessous quelques mots du Pr. LUCET suite à cette présentation :

Suite au webinaire mené à la demande de JR Zahar et JF Timsit dans le cadre des séminaires Outcomerea autour du bilan et des leçons sur la prévention du risque infection en réanimation ces 30 dernières années, voici quelques propositions de thématiques ou d'axes d'investigation qui pourraient mobiliser la communauté des réanimateurs et des spécialistes de PCI.

Contrôle des BMR, hygiène des mains

Le contrôle de la diffusion manuportée des BMR fait l'objet de controverses depuis des années avec des pratiques de prévention variables d'un service de réanimation à un autre, entre une politique de promotion forte de l'hygiène des mains sans politique de dépistage (en dehors du portage des EPC) et une politique - plus généralement utilisée - de dépistage universel ou ciblé à l'admission, répétée en cours de séjour et application des précautions contact (sans les gants …) pour les porteurs.

La meilleure politique fait encore débat mais il y a de forts arguments pour la promotion des précautions standards et donc d'une hygiène de main avec haut niveau d'observance. Les moyens d'y parvenir me semble passer par des stratégies d'ordre comportemental plus que technique, notamment le leadership de l'encadrement médical et paramédical.

Donc là rien de nouveau sous le soleil de la réanimation, même si ces actions de mobilisation sont de mise en place difficile.

L’élément plus récent est le risque lié à la contamination de l'environnement par des bactéries aérobies strictes (Pa) ou par des EPC (elles-mêmes bons marqueurs de la contamination de l'environnement). Il faut porter une attention pour ce risque environnemental par des mesures simples, et intégrer le risque environnemental au risque de transmission croisée manuportée. La question est celle de l’intensité de contrôle de l’environnement entre mesures simples (entretien, réduction et éloignement des points d’eau) et mesures maximales de type « water free ». Un travail de recherche pourrait être mené pour comparer ces deux stratégies.

Infections liées au cathéter

Les taux sont bas ou très bas en France, ce qui confirme qu'il s'agit d'une infection en grande partie évitable. Je vois plusieurs axes de prévention autour des ILC :

  • D’une part continuer une surveillance a visée de production de taux au niveau national en proposant une surveillance unit-based dans les services de réanimation qui n'ont pas de capacité informatique élevée et en continuant une surveillance patient-based dans les autres,
  • La rareté des ILC, quelques épisodes par an dans un service de taille moyenne avec des taux faibles, devrait conduire à une analyse individuelle de ces événements pour identifier au cas par cas (RETEX, RMM) les possibilités d'amélioration de la prévention. Ce type d'approche a aussi comme intérêt une collaboration active entre PM et PNM, la mise en avant de l’expertise PNM, un moyen de créer de la cohésion dans une équipe, avec un objectif atteignable et mobilisateur de « zéro ILC ».
  • SPIADI a montré que la taux d’ILC des services de réanimation qui entrent de la surveillance étaient initialement plus élevés que ceux des services déjà participants. Ce n'est pas une découverte, elle confirme que l'effet « surveillance » joue un rôle important dans la réduction des taux. Cette observation devrait être une incitation forte pour les autorités de santé à faire entrer les services de réanimation dans un réseau de surveillance, tout en respectant la confidentialité des données comme en Allemagne (réseau KISS, la majorité des services de réanimation y participent) : certification et incitations financières de la HAS, et homogénéisation des logiciels métiers pour production de données intégrables facilement dans le réseau national.
  • Informatiser les services de réanimation qui ne disposent pas d'un système performant est aussi un objectif nécessaire à court terme

Pneumonies acquis en réanimation

Ce sont principalement des PAVM. On ne peut que constater que les taux de PAVM sont extrêmement variables d'un réseau de surveillance à un autre et ne sont pas expliqués par les différences des patients pris en charge ou de leurs facteurs de risque.

Le diagnostic en France est basé sur des critères bactériologiques souvent stricts : initiation au vu de l’ED du prélèvement protégé (si le patient est en état sévère) et poursuite arrêt ou modification au vu du compte bactériologique. Il semble y avoir peu de variations d’un service à un autre sur ce point (????). Mais qu’en est-il des motifs de prélèvement qui vont faire entrer le patient dans le parcours PAVM ? Est-ce que les « vaches sacrées » du diagnostic sont bien vraies ? (par ex autour de ce que l’on appelle des PNP d’inhalation).

De la même façon même si un certain nombre d'études ont suggéré que les mesures de prévention pouvaient amener à une réduction des taux de PAVM, elles n’ont jamais montré une efficacité sur des critères objectifs, réduction e la durée de VM, de séjour ou de la mortalité

Devant ces deux observations, variabilité diagnostique et « préventabilité » au mieux modeste, il me semble qu'on devrait aborder la question de la PAVM et de la tracheo-bronchite d'une autre façon, complémentaire de la surveillance des taux :

  • D’abord en réalisant une surveillance des pratiques de prévention (indication de la VNI, sédation, pression du ballonnet, position de la tête du lit, soins de bouche, …) même si l’on sait que l’impact de ces mesures est variable, voire délétère. Ca a été lancé par A Savey A Lepape qui ont poussé au niveau de l’ECDC, sans bcp de succès je crois
  • On pourrait aborder la question par le biais de l'utilisation des antibiotiques pour les « infections respiratoires acquises en réanimation », VAP, VAT et hors VM. Cette approche permettrait d'avoir des données plus solides sur l'initiation et la poursuite des antibiotiques dans ces situations, on ne sait pas par exemple quelle est la proportion d'antibiotiques utilisée pour traiter les infections respiratoires acquises en réanimation. De plus, l'impact des antibiothérapies initiées en réanimation souvent pour des pneumonies a un impact sur l'émergence de la résistance.
  • L'évaluation du bon usage des antibiotiques dans ces situations serait certainement à même de lisser les variations qu'il y a d'un service à l’autre. Par la suite ce pourrait être un indicateur de bonne pratique d’ATB en réa, en miroir de celui des CAP en dehors de la réa (un indicateur HAS auquel je crois, et qui est enfin entré en pratique)
  • Il serait intéressant de faire du benchmarking entre services de réanimation ou entre réseaux de surveillance par des visites croisées entre services : en France entre des services qui ont des taux élevés et ceux qui rapportent des taux bas, ou encore des visites croisées entre des services français et de pays voisins par exemple l'Allemagne qui rapporte des taux 3 fois inférieurs, pour comprendre les raisons de la variation des taux d'incidence

Jean-Christophe LUCET, 29 février 2024